mercredi 7 avril 2004

Coup de gueule

Je vole pour Air France, Air France me vole
Dès l’entrée dans la salle de briefing, j’avais senti cette ambiance lourde presque électrique.
C’est vrai qu’avec nos vingt ans d’ancienneté nous étions les seuls, la CC et moi, à ne pas être B-scale.
Depuis quelque temps, ce sujet de la double échelle de salaire revenait de façon récurrente sur le tapis.
Pas étonnant puisque maintenant la moitié d’entre nous n’étaient pas payés comme les autres pour le même travail.
Ca foutait une ambiance de merde sous réserve qu’un déclencheur l’attise.
Le déclencheur du jour avait été le tract de l’UGICT-CGT ” les B-scale parlent aux B-scale “.
Comme d’habitude, je commençais le briefing en me présentant comme Délégué du Personnel UNAC.
La tête des nouveaux embauchés que j’avais face à moi me fit dire immédiatement qu’ils me prenaient pour un pourri de syndicaliste acheté par la Direction d’Air France.
J’adore recevoir des leçons lorsqu’elles sont justifiées, à contrario, injustifiées elles m’agacent un peu pour ne pas dire prodigieusement.
Du coin de la salle de briefing, un steward me lâche alors une phrase extraite du tract de l’UGICT ” A travail égal, salaire égal “. Qu’en penses-tu ?
Je me délecte de ces slogans assassins et si vrais qu’il n’y a rien à y répondre.
Du moins, moi je ne trouve rien à argumenter à cela sauf à chercher dans mes souvenirs de 3 années de piquets de grêve de l’UNAC de juillet 1995 à juillet 1998.
Car à cette époque là, pour entendre des conneries, j’en ai entendu par caisses de douze à chaque fois que j’essayais de convaincre un ancien ou un nouvel embauché que cette B-scale était la pire vermine que l’on puisse faire rentrer dans notre communauté.
A l’époque, notre slogan était : « même travail, même salaire »
Ce slogan et nos grèves avaient fait le plus grand flop que puisse craindre un syndicat, et une majeure partie des anciens et nouveaux ne se reconnaissait pas dans cette idée simple, généreuse et tellement JUSTE.
• 52 jours de grève en trois ans !
Voilà ce qu’a duré le calvaire des grévistes de l’UNAC qui ont eu la très bonne idée, à la création de la B-scale, de faire grève contre cette dernière.
• 52 jours à se faire envoyer chier lors du piquet de grève en voyant partir des non grévistes.
• 52 jours à pleurer auprès des autres syndicats pour qu’ils daignent participer au conflit.
• 52 jours à s’engueuler avec des copains non grévistes, ex-copains depuis !
• 52 déstabilisations de planning.
• 52 jours de piquet de 5h00 à 23h59.
• 52 jours de salaire en moins.
• 52 trentièmes de PUA et de treizième mois perdus ou donnés au patron.
• 52 jours à se faire incendier par les «contre piquets de grève» recrutés parmi les «meilleurs» de l’encadrement PNC et PS.
52 jours à planter notre banderole “Je vole pour Air France, Air France me vole” à l’entrée de la Cité.
3 années sans désidérata.
1 jour où la Direction d’Air France nous a volé notre banderole.
1 jour de campagne de pub TV Air France contre nos grèves, du jamais vu…
Les justifications des briseurs de grève étaient tout aussi diverses qu’infondées. Parmi les plus belles conneries que nous avons pu entendre à l’époque, je vous les livre en vrac comme nous les avons reçues, à savoir en pleine gueule.
” Je veux devenir cadre PNC… “
” Je viens d’acheter une télé 16/9, j’ai besoin de fric “
” Je suis en desiderata “
” Le SNPNC n’appelle pas à la grève “
” Je me marie la semaine prochaine… “
” J’ai un accompagnant sur le vol “
” Dans 6 mois, je prends le plan de départ… “
” Moi, je suis à la CGT PNC, ils ne sont pas en grève cette fois-ci “
” Je suis en vol couple… “
” Je suis sur le point d’être cadre PNC… “
” FO n’est pas en grève “
” Mais moi, en B-scale, j’ai signé un contrat avec lequel j’étais d’accord “
” Pourquoi je ferais grève alors que les B-scale n’en ont rien à foutre “
” La CFDT ne fait pas grève “
” Pourquoi je ferais grève puisque la B-scale ne me concerne pas “
” T’es fou, je pars en compo-peq et ça paye “
” Je ferai grève quand tous les syndicats feront grève”
” Je suis cadre PNC, la B-scale c’est la survie d’ AF “
” La CFTC n’est pas en grève “
” Deux jours de grève, c’est pas assez… “
” Il y a six mois que je ne suis pas allé à Tokyo “
” Et ma sélection CC ? “
” J’ai déjà pointé “
” Je suis en saison CCP ! “
” Je suis monté de Marseille “
” Je ne savais pas que vous êtiez encore en grève “
” Je suis mariée à un cadre PNC “
” Je suis PNT, votre combat est foutu… “
” Vous allez tuer l’entreprise “
” Je viens d’UTA mais le combat a changé “
” Je suis d’Air Inter et j’arrive sur le long courrier”
” Les B-scale sont ravis de ce qu’ils touchent “
” Regarde ce qui se passe ailleurs “
” Moi, j’ai voté OUI au référendum de Blanc “
” Mes parents ne comprendraient pas… “
” Les B-scale sont mieux là qu’à l’ANPE “
” Ca sert à rien, les avions partent quand même “
(3/4 suite ->)
” Je gagne plus d’argent que les gens de mon village, ils ne comprendraient pas “
” Je dois acheter un maillot de bain à Caracas “
” J’ai acheté une nouvelle Renault Espace “
” M’enfin, je suis cadre, voyons”
Autant vous le dire clairement, sur ce sujet, nous n’avons de leçon à recevoir de quiconque.
Et si c’était à refaire, nous referions la même chose avec autant de conviction et surtout l’espoir d’une participation meilleure à nos grèves.
Notre conviction est, a toujours été et restera :
« même travail, même salaire » et non pas : «ça sent bon les élections, enfilons les convictions… des autres»
Sans avoir éradiqué cette foutue B-Scale, l’UNAC en a considérablement réduit les effets et contractualisé ces améliorations pour la première fois de notre histoire dans un véritable accord collectif, à la hauteur de la mobilisation des PNC.
Quitte à approfondir la fracture sociale créée par la Direction, certains syndicats surfent actuellement sur le manque de recul des nouveaux PNC pour faire, à leur avantage, de la « reconstitution historique » à propos d’un passé pourtant récent.
A contrario, convaincue que nous ne nous en sortirons pas les uns sans les autres, l’UNAC continue le combat dans un autre cadre, celui de l’évolution de l’Accord Collectif, et cela pour tous les PNC, anciens et nouveaux embauchés.
Prenons garde au marketing syndical en période électorale qui consiste à monter les générations de PNC les unes contre les autres quitte à déglinguer la profession PNC.