dimanche 2 septembre 2001

Volume 8

Ce courrier remonte à l’année 2001 et pointe, entre autre, nos dysfonctionnements dans un domaine qui ne le supporte pas. A l’heure où nous nous recueillons en souvenir du vol UTA 772 et où la menace ne faiblit pas , le bordel permanent aggravé de pression temporelle constante dans lequel se fait l’exploitation n’est pas mauvais à rappeler. La raison ? Le respect de l’horaire dont tout dépend.


Au Président,

Dans ces sept tribulations, peu ont été épargnés. Seul le PNC, hors encadrement, ne s’est pas fait égratigner comme il le mériterait, du fait du relâchement dans lequel il se complait en matière de sécurité et de sûreté. Sans doute en raison de l’esprit de corps qu’observe le Major Skyteam.
Nous espérons que les égratignés ne nous en voudront pas trop de n’avoir dit que la vérité de notre quotidien. Quotidien déjà dénoncé par vos délégués de façon continuelle sur les sujets évoqués par le Major.
L’unique but de ces tribulations est bel et bien de faire réagir nos instances dirigeantes. Si leur force de réaction est limitée, qu’elles se concentrent sur l’essence même de notre métier. Si elles en ont oublié la nature, comme nous le soupçonnons, cette lettre ouverte au Président devrait les éclairer.

Jean Cyril,
Je prends le parti de te tutoyer car, jusqu’à présent, à chaque fois que j’ai vouvoyé un de mes supérieurs hiérarchiques de la Compagnie cela a semblé le froisser. Je te tutoie donc afin de ne pas te blesser, car loin de moi cet objectif.

D’autant que si ton prédécesseur m’avait quelque peu fatigué par sa volubilité destructrice, je reconnais en toi la discrétion du constructeur qui amène la Compagnie là où personne ne l’imaginait hier.
Si j’ai écrit ces ” tribulations “, c’est pour tourner en dérision la situation dans laquelle nous surnageons tous les jours et le ras-le-bol qu’elle génère, mais aussi et surtout pour attirer ton attention sur nos dangereuses incompétences.

Je passe volontairement l’ensemble des dysfonctionnements hôteliers qui nous pourrissent la vie et laisse les incapables du service à bord à leurs ruptures de stock et autres cafouillages pour me concentrer sur l’essentiel.

J’imagine que la douleur ressentie par un Président comme toi est la même que celle des employés d’Air France lors d’un accident majeur comme celui que nous venons de vivre. Je devine qu’elle se double d’un sentiment de responsabilité découlant du niveau de ton poste et en cela je ne t’envie pas.
J’ai, pour ma part, été touché durant ma carrière de navigant par trois drames aériens. Deux découlaient de problèmes spécifiquement liés à la sûreté, le troisième nous l’avons partagé récemment. Pour l’attentat du DC10 d’UTA, j’ai ressenti le sentiment de culpabilité de ne pas avoir assez hurlé lorsque nos mesures de sûreté se dégradaient par la suppression des agents de sécurité embarqués. Je hurle donc aujourd’hui, dans mes tribulations, car nous vivons en ce moment une insupportable dégradation tant en sûreté qu’en sécurité.
Je ne sais pas si ta garde prétorienne t’a évité la lecture des sept ” Tribulations du Major Skyteam “, mais si c’est le cas, procure-les toi. Je les tiens à ta disposition si nécessaire, mais tu peux aussi y accéder sur le site Internet de l’UNAC.

Il se peut que certains délégataires en matière de sécurité-sûreté fassent les cachottiers sur le constat désastreux que je fais en la matière ?

Je crois qu’il faut que tu te sortes de la lecture de tes indicateurs économiques, satisfaisante certes, pour plonger dans ce qui fait l’essence de notre profession, à savoir la sécurité et la sûreté.
Le constat déplorable que je fais de la formation du PNC ne t’est pas inconnu puisque l’UNAC t’a adressé une étude sur ce sujet, toujours sans réponse, il y a moins de six mois.
Je ne peux pas croire que tu puisses te satisfaire de la médiocrité que nous vivons en ce moment en la matière. Je sais que cela coûte sûrement très cher, mais se camper bien à l’aise au minimum réglementaire n’a rien de raisonnable.
D’autant que d’autres facteurs détériorent journellement notre niveau de sécurité et de sûreté. Tu sais que je fais allusion en cela au HUB et à sa pression temporelle constante qui nous conduisent à tout faire mal et trop vite.
Quoi, par exemple ? Je pense, entre autres, aux briefings faits à la “va comme je te pousse” entre problèmes de manque d’effectifs et précipitation. Ou encore, la visite sûreté qu’il nous est impossible de faire correctement dans les termes où elle nous est prescrite. Tout le monde le sait mais la Direction de la Sûreté ne change rien à la procédure, nous confortant dans le fait que mal la faire n’a que peu d’importance.
Une fois le pli pris, pourquoi ne pas tout dégrader.
C’est le cas, ne t’inquiète pas, avec les comptages pendant le roulage par exemple. Tu noteras, comme moi, que pour ce dernier exemple, la dégradation de la chaîne sûreté vient du PN lui-même, le plus souvent, sur ordre ou avec l’aval du chef de mission, le CDB.
Cette même ambiance règne en sécurité où les impasses et dysfonctionnements sont légion. Toujours dans le cadre du HUB, je ne prendrai que l’exemple des avitaillements carburant qui sont maintenant monnaie courante au départ de CDG durant la phase d’embarquement.
Ce sont des situations que nous gérons très mal pour différentes raisons. Tout d’abord, certains petits malins avaient jugé bon de ne plus en parler dans le MSS durant une période. Pour quelle raison, je l’ignore et ne peux pas imaginer que c’était pour faire passer plus facilement l’exploitation ou mieux nous faire réussir les tests sécurité ! Toujours est-il que le résultat est là, nous sommes, PNC et PNT, dans ces phases, très mauvais comme dans toutes les phases sol en général. Peu de PNC ont conscience de l’importance de l’environnement extérieur et de la vigilance dont ils doivent faire preuve dans ces moments.
Je te fais le tableau de ce qui ne nous arrivera jamais, je l’espère, mais dont nous vivons les premières phases quotidiennement. Un appareil, en ravitaillement carburant, avec 120 passagers Tempo déjà à bord, l’ensemble du PNC en zone avant pour une raison injustifiée et inconscient de son rôle sécurité dans cette phase. Début d’incendie au niveau des issues d’ailes et du galley. Isolement des passagers Tempo du reste de l’équipage. Deux camions hôteliers en porte ARG et ARD interdisant toute évacuation. Je m’arrête là, car ces frissons, je les connais trop fréquemment lors de mes départs ou de mes arrivées à CDG.

D’où viennent une telle incompétence ou inconscience ? Du fait que la sécurité et la sûreté ne sont pas à Air France une priorité en matière de formation ou de carrière, le PNC ne se valorise pas, vis à vis de lui-même ou de sa hiérarchie en étant exigeant dans ces deux domaines.
Ne me dis pas le contraire, car si tu le penses, nous sommes foutus !

Laisse cette belle analyse à nos encadrements PNT et PNC qui s’en satisfont tous les jours en avalisant simplement le fait que l’on puisse devenir Chef de Cabine sur petit porteur ou Chef de Cabine Principal sur gros porteur sans jamais avoir eu à se mettre en situation d’évacuation simulée à son poste. Je n’en reviens pas encore, mais cela me confirme bien l’incompétence totale des services de la Compagnie à pousser tout le monde vers une amélioration indispensable, pour ne pas dire salvatrice, concernant l’essence même de notre métier, la sécurité et la sûreté.

Nous ne pouvons nous satisfaire du peu de rigueur que nous vivons chaque jour, d’autant que nos défauts deviennent l’exemple que suivent les cohortes de nouveaux embauchés, le transmettant eux-mêmes aux suivants. Je te laisse imaginer dans quel état nous serons demain, au rythme actuel de plus de 1000 embauches annuelles parmi le PNC.

Tu disais récemment : « les 54 000 salariés de la Compagnie partagent pleinement avec leurs alliés des exigences de qualité et d’efficacité.» D’expérience, je dirai plutôt :
« Nos exigences en sécurité et en sûreté vont s’amenuisant et il est clair que dans ce domaine nous n’offrons pas le meilleur à nos clients.»

Convaincs-toi, Jean Cyril, qu’impacter légèrement la productivité de la Compagnie pour l’amener à un niveau de sécurité et de sûreté digne d’une compagnie de transport aérien responsable ne pourra t’être reproché par personne car c’est une démarche légitime.
Même l’actionnaire que je suis est prêt à en faire les frais, comme sans doute beaucoup d’autres salariés.
Au risque de vous blesser, je reprends un vouvoiement qui me semble plus adapté à nos relations hiérarchiques et vous adresse, Monsieur le Président, mes respectueuses salutations.

Le Major Skyteam