mercredi 10 septembre 2003

Volume 6

«Sur le plan de l’arnaque, l’attaque du train postal ” Glasgow-Londres ” n’est rien, vous m’entendez rien, comparée à notre système d’intéressement aux ventes à bord.»
 
En croisière 16h30 TU

Je viens d’ouvrir la voiture de ventes à bord en utilisant comme d’habitude le matricule AF 000 0001 que j’imagine être celui de Jean Cyril. C’est le côté magique de cet OVB (Ordinateur de Ventes à Bord) à la pointe de la technologie de pouvoir l’ouvrir avec votre carte AF mais aussi avec n’importe quelle suite chiffrée.
Le matricule de Jean Cyril me plaît bien car j’ai ainsi le sentiment de le mêler à nos petits soucis quotidiens. Le service Espace vient de se terminer et nous enchaînons par les ventes en cabine, le steward et moi.
Connaissant la ligne, je ne doute pas que nous en ayons pour un moment. J’adopte donc une attitude plus que discrète, transparente dirais-je. Le steward, quant à lui, sans doute lobotomisé par le forum permanent AIR, adopte l’attitude du vendeur du mois. A sa décharge, cet espace AIR, le seul confortable sur le circuit PN vaut bien l’échange de quelques séances subliminales contre un vague sentiment de luxe avant d’affronter le nouveau design de nos cabines ” Skyteam “.
Mon premier client est amateur du vrai chic parisien et me fait déballer tous les foulards : Hermès ! Dior ! Kenzo ?
Alors, que je freine des quatre fers, ce dernier entend bien passer au peigne fin toute la voiture. Une demi-heure plus tard, je suis toujours avec le même et ralentis mon collègue puisque nous n’avons qu’un seul OVB.
Parti comme c’est parti, à ce rythme-là, j’atteindrai le galley et mon plateau repas dans 5 heures vers 21h30 TU.
Autant dire que pour les autres passagers, je ne fais pas de pub. Limite aimable, la faim au ventre.
Un représentant de l’ONU me cueille sur le retour par l’autre allée. 6000 francs de parfums et de foulards et je n’ai pas de sac à lui offrir. Pour avoir l’air con, c’est de première. Je fais dans l’ersatz et livre les précieux produits dans un sac-poubelle du plus beau bleu. Toujours pro, j’ai la délicatesse de lui faire un joli nœud avec le lien plastique orange. Il apprécie grandement et m’en demande un deuxième, sans doute pour son «assistante» new-yorkaise.
Je ferme les ventes cause «pas de sac» noté sur l’enveloppe de caisse.
J’ai donc passé 1h30 à faire des ventes, si j’extrapole au mois, environ 12 heures au service exclusif d’AIR pour 263 francs, soit 21 francs de l’heure. Petit rappel sur le SMIC horaire à 41,31 francs/heure.

C’est quand même chouette de pouvoir s’offrir une flotte d’environ 13000 vendeurs, de jour comme de nuit, multilingues de surcroît pour une somme aussi modique.

J’atteins enfin le galley où m’attend mon déjeuner qui s’est transformé en dîner passé 19h00.
C’est le moment que choisit un passager pour fumer dans une toilette de notre A340.
L’alarme retentit. J’aurais pu dire : ” Mon sang ne fait qu’un tour ! “, mais je ne le dirai pas. En effet, à force de ne pas tester l’alarme toilette nous n’en connaissons pas le timbre enjoué.
Je me dis donc, plutôt :
« Où ai-je déjà entendu ce bruit-là ? »
« D’où vient-il ? »
Je lis par ailleurs sur mon Flight Attendant Panel, un
« L71 » qui ne me dit vraiment rien quant à la localisation du problème.
Réaction étonnamment contraire à la légendaire réactivité du PNC AF, telle que décrite dans ce gros livre rouge que je n’ouvre presque jamais, puisqu’il ne contient plus rien et que l’essentiel est résumé dans le questionnaire.
Soixante secondes plus tard, un nouvellement spécialisé, B-scale de surcroît, a quant à lui, reconnu l’alarme que je n’avais pas entendue depuis 5 ans.
Nous dégondons la porte des toilettes car le passager bloque cette dernière souhaitant fumer tranquille. Il s’écroule une bouteille de Jack Daniel’s à la main. Bourrades amicales pour le guider à sa place où je lui remets le puissant document ICP (Incident Comportement Passager). Curieusement, ça ne l’impressionne pas et il manque de vomir sur le précieux document de dissuasion.
Je retrouve à nouveau mon plateau quand le voisin du pochard fumeur vient se plaindre à moi que l’alcoolique tourne câlin et lui tripote la cuisse avec ardeur…
J’enfile alors ma tenue de conseiller conjugal car il semble inquiet de voir son voisin ne pas poursuivre avec lui vers Oklahoma City…
Il est 20h15, j’hésite une seconde entre manger froid ou trop cuit. Je mange froid car attendre que ma cassolette réchauffe c’est prendre un risque, le film se termine.
A suivre…